La première fois que j’ai eu à poser les oreilles sur ce qui allait devenir l’album « The Styx » de Low Frequencies, je dois bien dire que ce ne sont plus les oreilles qui ont parlé mais l’imagination.

J’avais l’impression que le son donnait naissance à un tableau de Hyeronimus Bosch traitant des enfers, et pour être plus précis, des décors que ce flamand a peint.

Il y a avait des trouées emplies de lumières de feux et ce noir tellement granuleux que l’on retrouve sur le flanc des montagnes. Les personnages étaient également visibles, mais c’est le minéral enfer qui prenait le dessus dans la texture sonore de Low Frequencies.

Le travail de mastering est quelque chose qui tient de l’équilibrisme, car il ne faut pas trahir l’esprit du mixage, et en même temps s’offrir la possibilité d’aller ailleurs, ou à tout le moins, un peu plus loin

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Cela voulait donc dire aller vers plus de force brute dans ce cas-ci.

Alors, on peut penser que juste gonfler le son, le « loudness », tout pousser au maximum, et hop, l’affaire est pliée. Mais cela aurait signifié de ruiner les profondeurs qui étaient présentes, et puis ne faire qu’agir sur une balance de fréquences pour rechercher les endroits où l’on peut se permettre de gagner quelques decibels.

Ah oui, j’oublie de vous dire. Les mixs Low Frequencies… Il n’y a plus une ombre de dynamique. Autant dire que ça s’apparente au cauchemar du masteriseur.

De la disto partout. Lorsque le paysage disparaît, c’est comme si le son tombait dans un fossé, c’est net, ça s’écrase, on entend juste la chûte avec des roulements de pierre timbraux, détourés, rêches, comme des barbelés nus et rouillés encore capable de vous agripper un bout de chair pour le cas où vous seriez encore en vie…

Il fallait redonner de la dynamique, ré-enregistrer (beaucoup) moins fort, choisir une équalisation et des outils psycho-acoustiques pour faire revivre les aiguilles des VU-mètres, et ensuite, remettre du g(r)ain.

Un préampli stéréo et les outils « Transient Designer » et « Vitalizer » des allemands de SPL se sont occupés de cela en hardware.

Et comme je l’ai dit, il me fallait regagner du niveau, plus pour « ouvrir » la force minérale brutale qui résidait dans les mixs, mais aussi préserver ces espaces, ces profondeurs, cet enfer métaphorique avec ses fosses à diable, son immense Styx coulant entre les pics.

Il existe une vieille technique qui revient au goût du jour ces temps-ci, c’est celle du « Mid-Side » qui permet de traiter séparément le centre et les côtés d’une image stéréo.

C’est ce qu’il fallait pour the Styx.

Et les côtés ont reçu un élargissement, tandis que le centre a subi un épaississement.

Au final, j’étais très satisfait de la couleur obtenue. Car c’était brutal. Et minéral. Et paysager.

Puis un jour, apparaîssent les morceaux de « The Reaper E.P. »…

Les univers de Jean-Noël étaient encore plus riches, les mixs sonnaient encore plus fort et variés.

Que faire? Sachant que Jean-Noël avait confiance dans mon travail, et que, surtout, il aime que l’on s’aventure dans son projet, j’ai d’abord repris la technique de « The Styx » pour me faire une idée, mais le résultat n’était pas à la hauteur des nouveautés. C’était comme de la lave infernale, mais qui avait eu le temps de refroidir un peu.

Etant donné que j’avais encore moins de marge de manoeuvre car les mixs étaient fort (et, évidemment, avec une dynamique R.I.P, paix à son âme), il fallait trouver autre chose pour garder cette force, cette furie.

Et bien, il ne me restait plus qu’à ajouter de la distorsion…

Euh, je devrais dire rajouter…J’ai choisi un préampli allemand contenant un bon gros limiteur, capable d’encaisser du lourd, et j’ai fait travailler les lampes au maximum.

Les aiguilles tordaient constamment au maximum du VU-mètre, et la LED de fonctionnement du limiteur ne s’éteignait jamais le temps du morceau.

La distorsion ajoutée étant très différente de celle(s) employée(es) par Jean-Noël a fini par donner une très très belle couleur, et ma lave avait enfin une luminescence presque insupportable, pour ainsi dire.

Ensuite, il a fallu passer par du software pour redonner du gain (car l’étape d’ajout de distorsion nécessitait un ré-enregistrement à plus faible niveau, pour ne pas récolter des artefacts issu du convertisseur A/D) et ce furent des compresseurs Tube-Tech et EMI-Chandler qui se sont chargés du boulot, avec un traitement toujours « Mid-Side » pour garder cette largeur.

Voilà ce que je peux dire des aventures vécues à travailler sur Low Frequencies. Ca a été une recherche passionnante, à contre-pied de la routine du mastering où l’on cherche à préserver la dynamique.

Ici, tout est question magmatique, tellurique.

Nîm.